TIC, RH et organisations : que reste-t-il à la relation (humaine)?
Co-dirigé par :
Denis Benoit, Professeur Université Montpellier 3
Isabelle Comtet, Maître de conférences Hdr. Université Lyon 3
Ewan Oiry, Professeur ESG - UQAM
Coordination du numéro :
Sandrine Chassigneux, Maître de conférences associée Université Lyon 3
Problématique :
Dans le cadre global de la gestion organisationnelle d’aujourd’hui, le management constitue la quête intentionnelle et assumée de la plus grande efficacité possible. Toutefois, « les méthodes de gestion ne fonctionnent jamais très bien. Ce système se veut totalisant, mais il est plein de trous : il ne marche que si on bricole les procédures, si on y réinjecte de l’informel, si on personnalise des relations qui ont été dépersonnalisées… Le management tend [aujourd’hui] vers la rationalisation complète de l’humain, mais nous ne serons jamais aussi prévisibles et contrôlables que des robots ! » (Le Texier, 2016).
Dès lors, concernant la totalité des aspects relatifs au travail en organisations (notamment), si les techniques, et singulièrement les Technologies de l’Information et de la Communication (T.I.C.), deviennent aujourd’hui plus cruciales et décisives que jamais, étudier, opérationnaliser et actionner de façon pertinente les dispositifs socio-techniques d’information et de communication (DISTIC) revient probablement à considérer d’emblée que ces techniques sont construites pour leurs utilisateurs aux fins d’accroître leur efficacité mais qu’elles façonnent également, de façon profonde et peut-être inadaptée, l’ensemble de leurs comportements (McLuhan, 1968) : « [elles forment] le sujet en instaurant des normes économiques, ergonomiques, des pratiques acceptées ou imposées. [Elles sont elles-mêmes] formé[es] et déformé[es] par des individus isolés ou agissant en réseaux » (Rasse, Durampart, Pélissier, cf. http://i3m.univ-tln.fr/).
Dans un « système technicien » (Ellul, 1977 ; 1988) tel que nous le connaissons aujourd’hui, dans lequel instrumentalisation, mécanisation, automatisation, standardisation, codification, contrôle, mesure constituent la norme la plus commune, à quel type d’« hybridation » hommes/machines (Besnier, 2012 ; Benasayag, 2016) assistons-nous aujourd’hui ? Et puisque cette hybridation est sans nul doute inéluctable, comment (si c’est encore possible) faire pencher la balance du côté de l’humain ? Puisque l’« information » envahit la vie quotidienne des organisations actuelles mais que, principalement chiffrée et non « relationnellement », bref, « humainement » communiquée, elle possède une forte tendance, à travers ses dispositifs techniques, à submerger les agents dans un flux continu générant (paradoxalement) angoisse et grande incertitude, comment regagner ce que l’actuelle rationalisation à tous crins nous fait (probablement) perdre (Rappin, 2015) en termes d’intelligence individuelle et collective (Morel, 2002) ?
Autrement dit, par-delà les « modes d’emploi » réducteurs sinon simplistes, peut-on « manager » de façon efficace sans agir de façon « mécaniquement chiffrée » ? Existe-t-il des modes de management des acteurs humains prenant en compte rationnellement l’ensemble de leur nature humaine, soit ses aspects rationnels et irrationnels ; derniers aspects souvent peu quantifiables et qui, effectivement, ne correspondent pas toujours harmonieusement sinon jamais à des tableaux de chiffres, de mesures codifiées ?
La réflexion de ce numéro veut se centrer sur une approche pluridisciplinaire en abordant les dimensions sociales, sociologiques, managériales, psycho-sociales et/ou communicationnelles de cette situation. On se situe au coeur du problème de l'émergence de changements de mode de travail, de modifications de coeur de métiers, d’évolutions de fonctions, mais également de comportements organisationnels en lien avec la mise en oeuvre de la technologie.
Axe 1 : Quelles transformations des métiers, des fonctions, des structures l’usage des TIC implique (provoque ?) -t-il au sein des organisations ?
Les usages des Technologies d'Information et de Communication (T.I.C) dans le milieu professionnel connaissent aujourd’hui un développement accéléré dans la production comme dans les services (Comtet, 2012). Ils ont une résonance non seulement économique (en termes de compétitivité) mais également sociale. Outre les nouvelles activités dont elles sont porteuses, les TIC. constituent un facteur d’évolution des structures organisationnelles et des métiers. Elles accompagnent une série de transformations concernant la stratégie, le contenu et l’organisation du travail, les formes de management, les formes de concertation et de négociation. Avec les TIC, on observe que des fonctions sont amenées à se transformer profondément et on souligne l’apparition de modification de missions au sein des métiers (Comtet, 2012). C’est le cas de la gestion des ressources humaines mais également du rôle du manager au sein de l’organisation (Dietrich, 2009).
Axe 2 : Quelles transformations des relations interpersonnelles et de la communication l’usage des TIC implique (provoque ?)-t-il au sein des organisations ?
Dans les organisations, les usages des TIC ont pour objectif de maintenir ou d'accroître les capacités de production (Lethais V., Smati, W., 2010) en développant des formes d'activités coordonnées, par la médiatisation de la communication (peut-être même la médiation que cela procure ?) et l'échange d'informations (Borzeix, Cochoy, 2008). Il s’agit entre autres de regrouper des compétences et de faciliter un processus communicationnel désormais souvent distant (Bazet, Jolivet, Mayere, 2008) ou dans des temporalités différentes (Matmati, Sanseau, Calamel, 2009).
Les usages des TIC sont donc simultanément ancrés dans un processus organisationnel et dans un agir individuel et collectif (Duymedjian, Ruling, 2005). Ces éléments modifient ces usages, les transforment et les font évoluer au gré des interactions, lesquelles sont elles-mêmes influencées par la technologie (Dumazeau C, Karsenty L., 2008). Ces éléments mettent en évidence la nécessité d'une reconfiguration consciente et volontaire, des interactions sociales dans le cas d'activités de travail pluriel lié à l'usage des TIC (Le Moënne, 2007). Ces types de dispositifs sociotechniques ont une influence sur la dynamique du groupe et sur sa performance organisationnelle et peuvent être perçus mais aussi considérés comme des outils de médiation (ne serait-ce que pour laisser des traces). Ils peuvent à la fois générer de la coopétition inter-acteurs (Nalebuff, Brandenburger, 1996) ou faire émerger du « sensemaking » (Weik, 1995). Les TIC conduisent donc à (ré)inventer les formes de communication (Alter, 2010), notamment de proximité, afin d’adapter la communication inter-acteurs et la faire exister malgré tout.
Axe 3 : Quelle légitimité pour les TIC en tant que dispositifs sociotechniques ?
Les TIC sont souvent révélatrices de dysfonctionnements, de difficultés dus à la logique dans laquelle elles s’intègrent (par exemple le contrôle plus facile du temps de travail des salariés grâce au travail en réseau). L’appréhension du statut du dispositif sociotechnique permet d’établir le lien qui existe entre la technologie et le social. Il souligne et montre les enjeux liés à la place de la communication dans les usages des technologies (Abecassis-Moedas, Benghozi, 2007). La compréhension du rôle du dispositif sociotechnique quant à lui met l’accent sur les usages des systèmes informatiques pour la réalisation d’une activité professionnelle. Ces usages permettent de retracer et d’exprimer les situations sociales essentielles à tout travail utilisant les TIC.
Nous savons que les TIC agissent comme vecteur technologique de l'activité professionnelle et interviennent fondamentalement dans la manière dont le groupe et l'organisation fonctionnent. Un des enjeux actuels de leur usage est donc d'analyser et de comprendre en profondeur comment les groupes et les organisations évoluent autour de l'usage de ces TIC et dans quelles mesures l’acceptation (ou non) de ces dispositifs se met en place.
Bibliographie
ABECASSIS-MOEDAS C., BENGHOZI P.-J. (2007), « Introduction. TIC et organisations », Revue française de gestion, N°172, pp. 101-104.
ALTER N. (2010), Donner et prendre. La coopération en entreprise, La découverte, Paris.
BAZET I., JOLIVET A., MAYERE A. (2008), « Pour une approche communicationnelle du travail d’organisation : changement organisationnel et gestion des évènements indésirables », Communication et organisation, N° 33.
BENASAYAG M. (2016), Cerveau augmenté, homme diminué, La Découverte, Paris.
BESNIER J-M. (2012), L'Homme simplifié : le syndrome de la touche étoile, Fayard, Paris.
BORZEIX A., COCHOY F. (2008), « Travail et théories de l’activité : vers des workspace studies », Sociologie du travail, N°50, pp.273-286.
COMTET I. (2007), « De l’usage des TIC en entreprise : analyses croisées entre sciences de l’information et sciences de gestion », Communication & Organisations, Numéro spécial « Migrations conceptuelles », N°1, p.6-16.
COMTET I. (2012), « Les environnements collaboratifs de travail au service de l’intelligence collective économique ? », Communication et Organisation, N°43, pp.61-72.
DIETRICH, A. (2009), « Le manager intermédiaire ou la GRH mise en scène », Management & avenir, N°1, pp.196-206.
DUMAZEAU C, KARSENTY L. (2008), « Améliorer le contexte mutuellement partagé lors de communications distantes avec un outil de désignation », Le travail humain, N°3, pp.225-252.
DUYMEDJIAN R., RULING CC. (2005), « Le manager bricoleur : essai de construction d’une image légitime », in MATMATI M. (dir), Moderniser la gestion des hommes dans l'entreprise : des effets de la technologie à l'usage des méthodes innovantes, Liaisons sociales, Paris.
ELLUL J. (2012), Le bluff technologique, 3e éd. (1re éd. 1988), Hachette, Paris.
ELLUL J. (2012), Le Système technicien, 3e éd. (1re éd. 1977 Calmann-Lévy), Le Cherche-midi, Paris.
LE TEXIER T. (2016), « Nous sommes si imprégnés par la logique de l’entreprise que nous l’appliquons à nos propres vies », Libération, 29 janvier 2016, Interview
LE TEXIER T. (2016), Le maniement des hommes, La Découverte, Paris.
LE MOENNE C. (2007), « Recomposition des espaces et des formes organisationnelles : quelles questions pour quels programmes de recherche ? », in CHEVALIER Y. (Dir) Espaces physiques, espaces mentaux, Septentrion, Lille, pp.209-205.
LETHAIS V., SMATI, W. (2010), « Appropriation des TIC et performance des entreprises », Enquête M@rsouin.
SANSEAU, P. Y., MATMATI, M., CALAMEL, L. (2009), « Les DRH dans la crise, des DRH en crise », XXème Congrès de l’AGRH, Toulouse.
MCLUHAN M. (1968), Pour comprendre les médias, Seuil, Paris (titre original : (en) Understanding Media : The Extensions of Man, McGraw-Hill, New-York, 1964)
MOREL CH. (2002), Les décisions absurdes - Sociologie des erreurs radicales et persistantes, Gallimard, Paris.
NALEBUFF B., BRANDEBURGER A., (1996), La co-opétition, une révolution dans la manière de jouer concurrence et coopération, Village Mondial, Paris.
RAPPIN B. (2015), « La cécité organisationnelle inhérente à l'essence du management - Réflexions sur la dangerosité inhérente au management des ressources humaines à l'époque post moderne », Revue internationale de psychosociologie et de gestion des comportements organisationnels, Vol.19, N°51, pp.19-36.
Organisation scientifique
Calendrier prévisionnel :
• Juin 2017 : publication de l'appel à contributions
• Aout 2017 : limite de réception des propositions
• Fin novembre 2017 : envoi aux auteurs des avis du comité de sélection
• 15 janvier 2018 : limite de remise des premières versions des articles
• 15 janvier au 15 février 2018 : recommandations aux auteurs
• 15 avril 2018 : limite de remise des articles définitifs
• Fin avril 2018 : décision définitive de publication
• Fin Mai 2018 : sortie (prévisionnelle) du numéro
Pour répondre à cet appel à communications :
Il est demandé aux auteurs intéressés quant à une contribution à ce numéro de bien vouloir faire part de leur intention en transmettant, pour le 28 Février 2015 au plus tard, un projet de communication, brièvement explicité (voir ci-dessous les diverses modalités formelles de participation), aux adresses suivantes :
- isabelle.comtet@univ-lyon3.fr
La proposition sera adressée en fichier attaché (nom du fichier du nom de l’auteur / formats .rtf ou .doc), contenant un résumé de la communication (1500 à 2000 mots maximum).
Une brève biographie du(des) auteur(s), (titres scientifiques, terrain de recherche, section de rattachement...) sera ajoutée (voir le modèle ci-dessous).
Les propositions retenues feront l’objet d’une évaluation réalisée sur la base des articles définitifs (35 à 50 000 signes, espaces compris ; voir les normes de soumission sur le lien : http://revue-communication-management-eska.com/contribuer/normes-de-soumission).
L’évaluation sera assurée de manière anonyme par au moins deux lecteurs du comité de sélection, (elle permettra une décision définitive relative à la publication).
* La revue fait partie de la « Liste des revues qualifiantes du domaine Sciences de l’information et de la communication (SIC) » (mise a jour du 25/11/2016 : https://www.sfsic.org/index.php/infos/listedes-revues-qualifiantes-en-71eme-section)